L'histoire des explorations
Le temps des pionniers
Les premières explorations spéléologiques connues ont lieu vers 1785. Elles sont rapportées par Flamichon [1]. Comme bien souvent ce sont des jeunes gens d’un village de montagne qui s’aventurent dans une caverne. La plupart du temps l’histoire les oublie, mais Flamichon a consigné leur témoignage dans ses notes. Cette première caverne explorée c’est la grotte Napia que les jeunes gens du village de Lées-Athas explorent sur plusieurs centaines de mètres.
Durant le XIXe siècle la grotte est visitée à plusieurs reprises, notamment par John Bost en 1850. Cette information publiée par les frères Cadier ne situe pas le point atteint par Bost, peut-être le terminus amont de +198 m.
À la fin du le XIXe siècle des naturalistes et montagnards de la région commencent des prospections à l’autre bout du massif près de Sainte-Engrâce. Ils y explorent quelques cavités. En 1903 et 1906 ils entreprennent l’exploration des gorges d’Holzarte et d’Olhadubie avec Fournier, géographe et spéléologue du Jura. En 1908 et 1909, ils sont rejoints par Martel et son équipe. C’est la première fois qu’une équipe importante, bien organisée et équipée de ce qui se fait de mieux à l’époque s’attaque aux canyons et aux gouffres du massif. Ils explorent le canyon d’Holzarte et en partie celui d’Olhadubie avec leurs porteurs locaux [2]. Puis, au départ de Licq, ils montent vers le col de la Pierre Saint-Martin et les plateaux au-dessus de Sainte-Engrâce. Là, guidés par les bergers basques, ils commencent l’exploration de nombreux gouffres. Mais la plupart du temps, leur matériel et leurs techniques ne suffisent pas pour atteindre le fond des grandes verticales qu’ils rencontrent.
L'histoire reprend après la première guerre mondiale avec un jeune Belge qui s’était réfugié en Soule avec sa mère pendant les années de guerre pour y revenir régulièrement ensuite. Il s’appelle Max Cosyns et se passionne très vite pour les cavernes de la Soule et du Béarn. Son père avait été un des compagnons de Martel en 1890 dans les Ardennes Belges. En 1934, Max Cosyns rencontre Martel qui le met en contact avec Norbert Casteret. Une nouvelle équipe d’exploration vient de naître, d’autant que Cosyns a déjà quelques compagnons d’exploration belges. Ils descendent la verticale de 152 m d’Odita Lezia au-dessus des gorges de Kakouetta et en 1935 ils y atteignent la profondeur de - 250 m. Ils descendent aussi d’autres grands puits au-dessus de Sainte-Engrâce et la paroi de 240 m de hauteur des gorges de Kakouetta pour atteindre la mystérieuse rivière souterraine qui sort de la grotte de la Cascade.
Le gouffre d'Escurets près du col de la Pierre Saint Martin
Dessin de Louis Rudaux 1908.
Cosyns, souvent seul, arpente aussi le massif vers le pic d’Anie et sur le versant espagnol. Il repère les résurgences et les zones de pertes. Il est le premier à entrevoir sous cette montagne tout un réseau de cavernes et de rivières souterraines que Martel avait à peine soupçonné. En 1939, une autre guerre met fin à ses recherches. Il ne reviendra à la Pierre qu’en 1946.
Georges Lépineux avant sa descente historique du 12 août 1951
Jean Janssens à la manœuvre du treuil à pédales qu'il a conçu
Marcel Loubens au départ de sa première descente le 14 août 1951
Le gouffre de la Pierre Saint Martin
Cosyns rassemble alors peu à peu une nouvelle équipe, très internationale, avec de nombreux scientifiques comme lui et des spéléos pyrénéens que lui envoie Casteret. Il oriente ses recherches vers le col de la Pierre Saint-Martin. Il « sent » que c’est par là qu’il peut trouver l’accès à une des rivières souterraines qui sortent à Sainte-Engrâce. Pendant des années Cosyns et son équipe vont explorer chaque été les environs du col sans rien trouver « qui passe ». Puis, le 1er août 1950 c’est la découverte [3] : après une courte désobstruction un puits très profond est ouvert. C’est le puits Lépineux.
En 1951, ce puits de 308 m est descendu au moyen d’un treuil construit par des spéléos du Jura. 5 spéléos de l’équipe Cosyns peuvent alors entreprendre l’exploration d’une immense caverne 400 mètres sous la surface. Ils découvrent deux grandes salles, les salles Lépineux et Elisabeth Casteret, et entendent le bruit d’une rivière souterraine.
L’année suivante l’exploration reprend avec un nouveau treuil construit par Cosyns. Du 8 au 12 août une première équipe installe un bivouac au pied du puits Lépineux et continue l’exploration (Labeyrie, Loubens, Occhialini, Tazieff). La rivière souterraine est atteinte et un premier traçage est effectué. Comme prévu l’eau colorée ressort 13 jours plus tard à une des résurgences de Sainte-Engrâce, à 7 km de là. Le 12 août cette première équipe doit remonter et laisser sa place à une autre.
Tazieff filme Loubens qui remonte le premier, mais l’attache du câble cède alors qu’il s’est élevé d’une vingtaine de mètres. Il est grièvement blessé. Le treuil est réparé, mais il ne peut servir qu’à descendre le Dr. Mairey auprès de Loubens. Peu de temps après son arrivée au fond Loubens décède, 36 heures après sa chute. Occhialinni et Labeyrie sont remontés, mais le treuil doit à nouveau être réparé. C’est alors qu'est prise la décision de ne pas ressortir le corps de Loubens. Bloqués momentanément au fond, Tazieff et Mairey décident de continuer l’exploration. Ils découvrent une nouvelle salle qu’ils dédient à Loubens et explorent une vaste galerie où coule la rivière souterraine : le Métro.
Ils s’arrêtent sur « rien » vers -500 [4].
En 1953, Cosyns n’est plus là. C’est Casteret qui dirige les équipes d’exploration et un nouveau venu, Corentin Queffélec, s’est proposé pour construire un treuil. Il n’est pas du tout spéléo, mais c’est un professionnel des engins de levage et construire un treuil dans ses ateliers, c’est dans ses cordes ! Dès le 1er août une forte équipe est déjà sur place au col de la Pierre Saint-Martin, mais un problème de frontière surgit : le gouffre serait en Espagne et les autorités espagnoles n’autorisent pas les descentes. Une solution provisoire est trouvée avec l’intégration de spéléos espagnols dans l’expédition. Quant à savoir où passe vraiment la frontière, le problème sera réglé plus tard... mais la collaboration avec les spéléos espagnols sera le début d’un longue aventure commune.
Les premières descentes de matériel et l’installation d’un bivouac commencent le 7 août. Le 10, Casteret conduit la première pointe. La galerie du Métro s’achève sur une énorme barrière de blocs 500 m en aval du terminus de 1952, mais une escalade débouche dans une nouvelle grande salle, la salle Queffélec.
Le 12 août, pendant qu’une autre équipe se prépare en surface, Lépineux et Treuthard font une nouvelle pointe en aval. Ils dépassent la salle Queffélec et découvrent une nouvelle salle, la salle Adélie. Au bout de la salle, ils retrouvent la rivière souterraine, mais font demi-tour et regagnent le bivouac de la salle Lépineux où les attendent les nouveaux venus.
Le 13 août, Lépineux est à la tête d’une nouvelle équipe de 5 hommes. Son but : aller le plus loin possible et faire la topographie de la caverne. Rapidement, l’équipe se scinde en deux. Lépineux, Théodor et Epelly en pointe devant et Letrône et Ballandraux derrière pour la topographie. Dans d’après-midi les trois premiers ont encore découvert une très grande salle, la salle Chevalier, et ils poursuivent vers l’aval en suivant la rivière souterraine quand tout à coup ils débouchent sur un vide immense. Ils viennent de découvrir la salle de la Verna . Ils y bivouaquent jusqu’au lendemain sans trouver une suite avant d’être rejoints par les deux topographes.
Deux nouvelles équipes fouilleront la salle sans rien trouver, ce qui fera écrire à Casteret que le gouffre de la Pierre Saint-Martin est terminé au fond de la Verna à -728 m [5] [6] [7].
En 1954 le corps de Loubens est extrait de la caverne lors d’une expédition d’anthologie fortement médiatisée. Vers l’amont, une pointe découvre la salle de Navarre et s’arrête devant un passage aquatique : le Tunnel du Vent. Une époque s’achève et tout aurait pu s’arrêter là si l’homme du treuil, celui qui n’était pas spéléo avant de venir à la Pierre, n’avait relevé le défi de continuer l’aventure. Il n'était pas le seul à vouloir continuer : au sud de la frontière une équipe espagnole entreprend la prospection des immenses zones de Zampory, Anialarra et Ukerdi.
Pendant ces années 50, un autre solitaire a commencé lui aussi à parcourir la montagne, c’est Fernand Ravier, un hydrogéologue qui travaille pour Électricité de France (EDF). Mais c’est pour son compte qu’il étudie l’hydrologie du massif karstique de la Pierre. Quelques années plus tard il publie ses travaux dans lesquels il détermine les grands principes du drainage souterrain du massif. Il y définit deux grands ensembles hydrographiques possibles : Saint-Vincent au nord et Saint-Georges au sud. Les explorations et les découvertes jusqu’à aujourd’hui ont montré la clairvoyance de son modèle hydrologique. C’est aussi lui et son équipe qui repèrent et désobstruent le trou du Renard au fond de la vallée de Sainte-Engrâce. Au printemps 1952, ils y découvrent le collecteur Saint-Vincent, quatre mois avant la découverte de son « affluent » du gouffre de la Pierre Saint-Martin dans la salle Casteret.
La salle de la Verna, 13 août 1953
Un grondement puissant semblait emplir l’espace, diffus et sourd tout d’abord, puis de plus en plus net, en avant.
L’inconnu et le fracas les attiraient, comme jadis ils avaient attiré Arthur Gordon Pym vers le mystère grandiose du pôle Sud de Poe.
Et soudain, ce fut l’apothéose. Dans le vacarme assourdissant de la cataracte qui à leurs côtés s’élance dans le vide et disparaît,
les hommes se sont brusquement arrêtés au bord d’une immense et totale obscurité.
Leurs puissantes lampes la tâtent en vain : devant, rien ; à gauche, rien. Rien à droite, rien au-dessus, rien au-dessous. C’est hallucinant !
Une idée folle traverse l’esprit de Jimmy Théodor : la montagne a été entièrement traversée, et ils viennent d’émerger à l’extérieur,
en pleine nuit . . . Il lève la tête, scrute le ciel. Mais nulle étoile n’y luit . . .
« Dis, Georges . . . , quelle heure est-il ? »
v
Il n’est que 6 heures et demie du soir. Au mois d’août, le soleil est haut encore. Cette nuit, c’est toujours la nuit souterraine,
c’est la nuit d’une nouvelle et colossale caverne.
Haroun TAZIEFF, Le Gouffre de la Pierre Saint-Martin - Édition ARTHAUD
Vers les -1000
La Tête Sauvage : topo de 1966 - 1967
Pendant des années, Queffélec et son équipe vont aussi parcourir la montagne. Ils n’y trouvent pas grand-chose, mais ils s’en imprègnent et cela va compter pour la suite. Pour leur part, les spéléos espagnols de l’Institución Principe de Viana entreprennent des recherches au sud du massif à la recherche du système Saint-Georges prévu par Ravier. De son côté, EDF qui a appris par Casteret l’existence d’une rivière souterraine importante creuse dès 1955 un tunnel à la recherche de la salle de la Verna. Ils ne trouvent pas la Verna, mais une modeste caverne que les équipes de Casteret puis de Queffélec commencent à explorer. C’est la grotte d’Arphidia.
En 1960, EDF finance une nouvelle expédition pour faire une topographie plus précise du gouffre afin de prolonger le tunnel jusque dans la salle de la Verna. Pendant l’expédition une équipe espagnole fait un raid en amont et dépasse le Tunnel du Vent. À la fin de l’année, le tunnel perce la paroi de la salle de la Verna. L’accès au gouffre devient alors beaucoup plus facile.
En 1961, survient un événement capital pour l’histoire de la Pierre : trois spéléologues espagnols de l’expédition de 1960, Juan San Martin, Félix Arcaute et Antonio Aratibel, rejoignent leurs collègues français avec une idée révolutionnaire. Pour San Martin, la rivière qui se perd au fond de la Verna devait couler autrefois 90 m plus haut et continuer sa course vers l’ouest. Ils entreprennent alors une escalade dans la paroi ouest de la salle pour le prouver. Quelques heures plus tard, ils découvrent l’aval fossile du gouffre, la galerie Aranzadi.
De 1961 à 1965, l’équipe de Queffélec, rejointe par quelques spéléos espagnols et montpelliérains, explore l’aval de la Pierre [8] : d’abord la grande galerie Aranzadi, puis un long méandre étroit, le Martine et enfin une série de puits très arrosés, les puits Aziza – Parment qui descendent jusqu’à -1006 m.
L’histoire de la Pierre avait aussi commencé à s’écrire dans une autre direction : l’amont. L’idée n’était pas neuve. Cosyns avait entamé quelques prospections dans les années 1930 puis au début des années 1950. Queffélec et les Espagnols avaient continué dès 1954. En 1963 et 1964 Cosyns oriente deux expéditions de Tarbais et du Spéléo Club de Paris vers Anialarra. En 1963, Félix Arcaute lance une équipe franco – espagnole vers l’amont à partir de la Verna, mais le Tunnel du Vent siphonne. L’année suivante le SC Paris reprend cette exploration qui lui convient bien. De 1964 à 1966, le SC Paris et les spéléos espagnols de Navarra et du Pays Basque gagnent 4 km vers l’amont, vers le pic d’Anie, comme le prévoyait Ravier et l’espéraient les spéléos.
Dans le même temps une nouvelle équipe s’est constituée avec de jeunes spéléos de Montpellier, Tarbes, Pau et Bagnères. Cosyns, Queffélec et Arcaute les orientent vers les Arres d’Anie. Dès 1965, avec beaucoup d'énergie et un peu de chance, ils commencent à explorer des grands gouffres là où leurs prédécesseurs n’avaient rien trouvé. En 1966, 5 km en amont du puits Lépineux, ils relient un de ces gouffres, la Tête Sauvage, à la rivière que les Parisiens remontent. Le gouffre de la Pierre Saint-Martin atteint ainsi la profondeur de -1166 m et son développement approche les 20 km [8] [9].
Juan San Martin : l'inventeur de l'aval de la Pierre
Juillet 1965 : étroiture (aujourd’hui disparue) en haut du premier puits de la Tête Sauvage le jour de la découverte du gouffre
A la conquête de la Pierre
La Pierre a repris le record du monde de profondeur et le nombre d’équipes spéléo augmente. Elles viennent de France, d’Espagne, de Belgique et d’Angleterre et vont se lancer à la conquête du massif. Il fallait gérer cet afflux et conserver la mémoire des recherches. Pour cela, Félix Arcaute, Max Cosyns, Noël Lichau, Gérard Loriaux, Michel Luquet, Jacques Moreau, José Maria Peñuela, Dominique Prebende, Corentin Queffélec et Isaac Santesteban créent l’Association pour la Recherche Spéléologique Internationale à la Pierre Saint-Martin, l’ARSIP, en avril 1966, organisme de coordination et de diffusion des résultats des explorations. Ce qui va aussi changer ce sont les techniques d’exploration et le matériel : finis les treuils, oubliées peu à peu les échelles métalliques avec les équipiers en relais pour assurer dans les puits, finis les interminables bivouacs souterrains et leur encombrante logistique. Tout va aller plus vite et plus loin, d’autant que la plongée de siphons, jusque-là presque anecdotique, va prendre son essor…
En 1966, la suite de la grotte d’Arphidia est découverte. Deux ans plus tard sa profondeur atteint -485 m.
Grotte d'Arphidia vers la salle Accoce
En 1971 et 1972, deux nouvelles rivières souterraines indépendantes du gouffre de la Pierre Saint-Martin sont découvertes dans la partie nord du massif par des Grenoblois du FLT et des Belges du Centre Routier: gouffre des Bourrugues (-305) et gouffre Lonné-Peyret (-717). L’exploration du Lonné-Peyret est endeuillée par la mort de Félix Arcaute dans l’amont du réseau. Dans la grotte d’Arphidia un collectif rassemblant de nombreuses équipes commence l’exploration systématique de tout le réseau. En quelques années le développement de la cavité atteint 12 km et l’amont est remonté jusqu’à +149.
A la même période une équipe de jeunes Français de Frontenac et d’Espagnols d’Estella reprend la prospection du secteur d’Anialarra [10] [11] et découvre la rivière souterraine d’Anialarra en 1973. En 1975 l’équipe bute sur une trémie à -648. Malheureusement, l’année suivante Francis Zamora, l’un des explorateurs meurt lors d’une crue subite dans les puits. En 1977 le Groupe Satorrak de Pampelune se joint à l’équipe pour terminer l’exploration vers l’aval, mais n’entreprend pas celle de l’amont.
Le cadre somptueux où s'ouvre le BU 56
Dans la rivière d'Anialarra vers -500
En 1975 une nouvelle rivière souterraine, le Couey Lotge (-625), est découverte au nord du massif par une équipe des Deux-Sèvres. La même année les spéléos de Tarbes découvrent 6 km de nouveaux réseaux et relient le M3 au gouffre de la Pierre Saint-Martin puis une équipe anglo – américaine ajoute une entrée supplémentaire, le SC3. Avec ses 4 entrées, le gouffre de la Pierre Saint-Martin atteint -1321 m et 30 km de développement.
De 1975 à 1980, plusieurs équipes reprennent des explorations et des topographies dans le gouffre de la Pierre Saint-Martin qui dépasse ainsi les 40 km de développement. En 1977 le cumul des réseaux connus sous le massif atteint les 100 km.
En 1979 l’équipe d’Anialarra formée par les Satorrak, Frontenac et Estella, renforcée de Provençaux et d’Alpins poursuit la recherche du Saint-Georges vers Budoguia et découvre le BU 56. Les expéditions sont rondement menées. La plus importante rivière souterraine du massif est découverte et le grand gouffre du sud atteint – 1286 m en 1981 devenant l’un des gouffres les plus profonds du monde (côte du S3 établie d’après les nouvelles topographies. La côte actuelle au seuil du S7 est de -1360 m).
En 1980, le GS Charentes, le GSHP Tarbes, le SC Gascogne et des éléments d’autres clubs d’exploration de la Pierre découvrent un nouveau grand réseau dans la grotte d’Arphidia. Cela relance l’exploration de la grotte qui, en quelques années, s’étend vers le sud, le nord et l’ouest. Elle atteint 712 m de profondeur et 22 km de développement. Vers le sud, des galeries s’enfoncent sous la salle de la Verna et la rivière de la Pierre y est retrouvée. Malheureusement, aucun passage humain n’est possible malgré une jonction au son et à la fumée entre une galerie d’Arphidia et une petite galerie sous les éboulis de la Verna.
En 1981, les spéléos de Poitiers qui prospectent les Arres d’Anie depuis 10 ans découvrent la rivière du Pourtet et la relient l’année suivante avec le gouffre de la Pierre Saint-Martin. Les Poitevins ont aussi étudié en détail la géologie entre le gouffre de la Pierre Saint-Martin et le réseau d’Anialarra et pour eux il manque au moins une importante rivière souterraine entre les deux. Ils la cherchent et la découvrent en 1983 avec des spéléos de 3 clubs du CDS42 (Cesame, Forez, Oreillards). La rivière c’est Z ou encore Zézette. Le gouffre, c’est le M413 qui devient plus tard le M413-gouffre des Partages (-1097 m). Son exploration, longue et difficile, se poursuit jusqu’en 2001.
En 1982 ceux qui restent de l’équipe du BU56 découvrent le gouffre AN8 tout à l’ouest d’Anialarra. Ils y atteignent -400 m, mais il faudra attendre 1992 pour qu’une suite soit trouvée jusqu’à une petite rivière par une équipe d’Aveyronnais et de Basques de Bilbao. L’année suivante, un siphon les arrête à -801 m. Entre temps ils ont trouvé un important collecteur qui ne peut être que la rivière du réseau d’Anialarra.
En 1983, Frédéric Poggia franchit les siphons du gouffre des Bourrugues à -305 m et explore la rivière en solitaire sur 4 km jusqu’à -638 m. En 1985, un interclubs de spéléos du centre de la France reprend l’exploration du BT6 au nord du gouffre Lonné Peyret, passe des étroitures, franchit une très longue zone étroite avant de parvenir à une petite rivière souterraine. L’année suivante elle les mène très loin jusqu’à -1170 m. Le « petit » réseau de Soudet devient ainsi le troisième -1000 du massif.
En 1986 l’équipe belge du Centre Routier découvre la sima del Tobozo (-522 m) et sa rivière entre le réseau d’Anialarra et le BU56. Cette rivière draine l’immense lapiaz d’Ukerdi. Quelques années plus tard, les spéléos de Tarbes et du Gers associés à Richard Maire reprennent le vocable d’Amalgame de ceux du BU56. Avec le Centre Routier, ils vont découvrir d’autres rivières du drain d’Ukerdi en amont et en aval du Tobozo : la rivière des Ourtets (-317) et l’UK4 (-717). Cet ensemble de cavités (non reliées) nommé réseau d'Ukerdi développe plus de 15 km sur un dénivelé de 1063 m. Les relier ne serait pas simple, mais on aurait un -1000 de plus à la Pierre.
Les années 1990 sont surtout les années d’Arrestelia, le trou du Râteau. Déjà dans les années 1930, Cosyns cherchait un grand réseau au-dessus des gorges de Kakouetta. Dans les années 1960 il avait conduit les spéléos de Tarbes, du Gers et d’Evron au trou souffleur du Larrandaburu. Après plusieurs désobstructions, ils s’arrêtent à -90. Après eux, le groupe Ermite puis des spéléos de Saint‑Herblain, de Chateauroux et des Baronnies (65) avancent un peu plus loin, mais eux aussi renoncent devant une longue étroiture à -110. En 1992, une ultime désobstruction permet à une équipe pyrénéenne, Oxykarst et SC Comminges, de découvrir le réseau d'Arrestelia, mais son ampleur dépasse de loin tout ce que Cosyns avait pu imaginer. En quelques années, ses découvreurs vont explorer près de 60 km de galeries et découvrir la plus grosse rivière souterraine du massif, celle qui collecte les eaux des Partages, des réseaux d’Anialarra et d’Ukerdi.
Ces années 1990 sont aussi des années de recherche en hydrologie et sur les dépôts sédimentaires de la galerie Aranzadi. Une quinzaine de traçages hydrologiques coordonnés par l’ARSIP permettent de mieux connaître les écoulements souterrains et envisager des liaisons entre les grandes cavités. Sur les synthèses topographiques, une vaste toile se dessine peu à peu. Il reste encore quelques blancs : les Maillons Manquants, mais ils diminuent d’année en année… d’autant qu’au nord du massif des équipes ont entamé l’exploration systématique des versants d’Issaux et de Lées-Athas.
Là, les cavités sont moins grandes et un peu moins profondes qu’au sud, mais beaucoup plus difficiles et exigeantes. Elles nécessitent souvent de longues désobstructions et des plongées en fond de trou. Sur les traces de Poggia, des plongeurs locaux et belges franchissent les siphons terminaux du Couey Lotge, d’Alhaïs, d’Arpet, de Castillou et découvrent d’importants prolongements. Ils dépassent aussi le terminus de Poggia dans l’aval des Bourrugues. De leur côté, les spéléos d’Oloron Sainte-Marie (GSO) poursuivent inlassablement la prospection des forêts, gorges et bracas de cette zone difficile et révèlent quelques grandes cavités qui complètent le « puzzle Issaux ». Venus du nord de la France et de Provence, d’autres trouvent la suite du gouffre Romy connu depuis les années 1970. Deux rivières souterraines parallèles avec beaucoup de passages étroits et aquatiques y sont explorées jusqu’à -699. Avec ses 8 km de développement, le Romy devient une des cavités les plus importantes du système d’Issaux.
Plus à l’est, sur les Arres de Lées-Athas délaissées depuis des dizaines d’années, les Oloronais reprennent l’exploration de la grotte Napia, celle qui avait vu ses premiers explorateurs en 1785. Ils y découvrent d’importants prolongements et des réseaux profonds. Venus de Lorraine et du Poitou, d’autres ratissent les lapiaz d’altitude. Ils découvrent quelques cavités, souvent étroites, entre 200 et 300 mètres de profondeur mais aucune rivière souterraine. Pourtant, les modèles hydrologiques de l’ARSIP placent là deux ou trois drains importants avec des potentiels qui dépassent les 1 000 mètres de profondeur. Mais au final, l’hydrologie des systèmes d’Issaux et Lées-Athas est aujourd’hui mieux connue et ce sont deux ensembles complexes et d’exploration difficile de près de 50 km de développement cumulé.
En noir, la synthèse partielle PSM 1982
En rouge le relevé de fractures retenues par Ameil et Puisais pour étayer leurs hypothèses
En bleu, les drains souterrains des hypothèses 1982
En vert le réseau des Partages, explos 1983 - 2001
Le vallon des pertes de l'Aydi, amont du système hydro de Lées-Athas
Coupe projetée Sud - Nord d'Arrestelia
Dans le gouffre Romy : le ruisseau coule sur le contact Paléozoïque - Crétacé
La toile patiemment tissée des synthèses de la Pierre
La toile, ce sont ces nouvelles découvertes, prolongements et ramifications que les spéléos de la Pierre voient grandir sur les synthèses des réseaux de la Pierre mises à jour annuellement. Une machine à rêver, ces synthèses !
Au début des années 2000, l’équipe Belge d’Avalon reprend l’exploration du réseau d’Anialarra. En une dizaine d’années les Belges découvrent de nombreuses nouvelles entrées, franchissent la trémie terminale et explorent plus de 20 km de nouvelles galeries portant la profondeur du réseau à -771 m et son développement à 32 km. Pendant ce temps un collectif vasco - occitan (Millau - Rodez - Bilbao) prospecte au-dessus de l’aval présumé de la rivière d’Anialarra. Deux des cavités découvertes, la sima del Sarrio et la sima del Bosquete rejoignent la rivière. Les systèmes d’Anialarra et Sarrio - Bosquete sont ensuite reliés en 2013. La profondeur passe à -853 m et le développement à près de 50 km en 2021.
Extrait partiel de la synthèse de la PSM au niveau des réseaux amont d'Anialarra et des Partages. Environ 5 km d'Est en Ouest.
Le temps des grandes jonctions semble arrivé. En 2008, les spéléos de Saint-Etienne (SG Forez) et les Lyonnais de l’interclubs des Partages relient le gouffre de la Pierre Saint-Martin et le M413-Partages formant un complexe de 83 km. Après cette jonction, les Stéphanois partent plus à l’ouest et prospectent le secteur du col d’Errayze, pourtant déjà bien prospecté. Bien leur en prend car après une courte désobstruction, ils découvrent la grotte de l’Ours, son puits de 330 mètres et, à -530, le collecteur des eaux d’Anialarra et d’Ukerdi. Un maillon manquant important vient d’être découvert car le collecteur de la rivière du Lakhoura est aussi très proche. Le puzzle pour un méga réseau de près de 150 km de développement est en train de se constituer.
Plus au sud, un important collectif de la Federación Navarrra de Espeleología et de l’Unión de Espeleólogos Vascos reprend l’exploration et la topographie du BU56 après que des plongeurs anglais aient franchi plusieurs nouveaux siphons vers l’aval. En quelques années, les Espagnols doublent le développement de la cavité et réalisent la jonction avec le A60. Un nouveau grand affluent découvert à -1100 m ouvre la porte à des développements importants vers des amonts au sud du réseau.
Profitant du tunnel de la Verna qui permet des explorations en toutes saisons, les grimpeurs d’Amalgame se lancent pendant plusieurs hivers dans de grandes escalades dans la salle de la Verna : 60, 90, 110 puis 220 mètres ! Les voûtes sont atteintes et plus de 900 mètres de réseaux insoupçonnés découverts. Certains renferment des remplissages du type Aranzadi.
L’été, à partir des années 2000, le collectif du Romy reprend totalement l’exploration de la cavité et la prospection des amonts du système d’Issaux. Eux aussi sont persuadés qu’il existe d’autres rivières inconnues qui contribuent aux Oueils d’Issaux. Partout, les prospections reprennent, des prolongements sont découverts, les inventaires progressent et la précision des GPS permet de mieux situer les cavités entre elles.
Sur les Llano Carreras et Zampory, Amalgame se lance à la recherche de la Rivière du Milieu, une rivière qui d’après eux devrait s’insérer entre Pierre et Partages. Malgré 20 années de recherches, la rivière n’a toujours pas été trouvée mais de nouveaux grands gouffres ont été découverts ou poursuivis. Deux d’entre eux (C104 et C2) rejoignent les Partages et un autre (sima Grande de Llano Carreras) la Pierre Saint-Martin. La même quête les conduit à -530 dans la difficile sima Garibal de Zampory où un siphon arrête l’explo, peut-être tout près de la rivière rêvée.
Poursuivant des recherches plus au nord, Amalgame se lance aussi à la recherche de réseaux suspendus entre Arphidia et Ehujarre en explorant systématiquement les porches de la gorge d’Ehujarre avec parfois des descentes vertigineuses de plus de 200 mètres dans les falaises. Les réseaux recherchés ne sont pas au rendez-vous dans les falaises, mais une longue désobstruction dans un petit trou d’Utzia les conduit dans une cavité complexe. De grands réseaux suspendus sont bien là où ils les attendaient mais aussi des puits qui s’enfoncent profondément dans la montagne et leur permettant de réaliser un vieux rêve des années 1970 : la jonction entre le plateau d’Utzia et l’affluent Maria Dolores de la Pierre. Xendako Ziloa devient ainsi en 2021 la 13ème entrée du complexe PSM - Partages.
140 m de gaz sous les fesses du second de cordée
Quelques mois plus tard, le GS Oloronais relie le trou Huet à la Pierre ajoutant une 14ème entrée au réseau. Après cette jonction, le développement du complexe PSM - Partages dépasse les 87 km pour 1410 m de profondeur. La même année 2021, le SC Franconville réalise la jonction gouffre Lonné-Peyret - gouffre des Bourrugues, mettant en relation deux systèmes hydrologiques différents et créant un nouveau complexe de 34 km de développement et 831 m de profondeur.
Ailleurs, d’autres jonctions sont possibles et les spéléos de la Pierre en viennent à rêver à plusieurs réseaux de 150 ou 200 km de développement. Ce n’est plus une utopie. Avec la généralisation des désobstructions, des grandes escalades, de l’exploration des siphons et des prospections hivernales à la recherches de trous souffleurs cela devient envisageable. Ce n’est plus qu’une question de temps. Les escalades de plus de 100 m ne sont plus rares ainsi que les plongées profondes (-150 à Laminako Ziloa) et les explos post siphon (4 km à la grotte au Lacs).
À la fin de l’année 2021, les spéléos ont exploré environ 2 000 cavités sous les montagnes du massif de la Pierre Saint-Martin – Larra et découvert plus de 475 km de galeries, puits, salles et rivières souterraines archivés dans leurs topographies, synthèses et bases de données … Et ils sont sûrs d’une chose :
l’aventure n’est pas près de se terminer !
Plongée du réseau des Lacs d'Arphidia en 2007